Et si on appliquait ce qui a été dit à la page précédente sur des cas concrets et connus?


Juste pour voir si ça marche.


Donc, pour rafraîchir la mémoire, pour qu'un avion soit manœuvrant, il faut:


1) Beaucoup de portance: Grande surface alaire, fuselage large, inducteurs de vortex tels que les apex, canards et décrochement de bord d'attaque, et dispositifs hypersustentateurs utilisables en combat (ce n'est pas toujours le cas).

2) Une motorisation puissante.

3) Une instabilité en tangage artificiellement compensée par des commandes électriques contrôlées par ordinateur.


Premier test: celui que je trouve, depuis mon enfance, absolument incomparable de beauté, le F104.


 

Constat:

-----Petite surface alaire (18m², et plus de 500 kg/m² de charge alaire), fuselage étroit, pas d'inducteurs de vortex tels que les apex, canards et décrochement de bord d'attaque.....


-----Une motorisation, disons moyenne: 7 tonnes de poussée pour un avion qui fait déjà presque ça à vide, et peut "monter" jusqu'à 14 tonnes...


-----Intrinsèquement stable, et bien sûr commandes de vol classiques.


Un avion forcément très peu manœuvrable, même sans attendre le moindre test, juste par déduction logique à partir de ce qui a été dit précédemment.


Bon, malgré tout, je l'aime inconditionellement depuis l'enfance, mais ça c'est autre chose.


Un deuxième maintenant, plus performant dans le domaine de la manœuvrabilité, le Mirage F1.

Constat:

-----Une surface alaire de 25 m², et donc environ 450 kg/m² de charge alaire, un fuselage classique, donc plutôt étroit.

Côté surface et charge alaire c'est donc mieux que le F104, les deux avions étant très proches au niveau de la masse.

Ils sont aussi très proche au niveau de la poussée du moteur. Et donc, avec une masse semblable le rapport poussée poids est très proche (ici, de l'ordre de 0,65).


MAIS, en plus de disposer de plus de surface et donc de "subir" moins de charge alaire, il possède aussi des inducteurs de vortex sous forme décrochement de bord d'attaque, et ses dispositifs de bord d'attaque sont utilisables en combat.


Sa manœuvrabilité est donc déjà obligatoirement très supérieure.


Dommage pour la poussée encore un peu faible, mais une version nettement plus puissante à failli voir le jour dans le cadre du remplacement du F104 en Europe.


-----Il est intrinsèquement stable, et a bien sûr des commandes de vol classiques.


  Un avion déjà assez  manœuvrable, juste par déduction logique à partir de ce qui a été dit précédemment.


Pas de chiffres précis parce que c'est nettement plus délicat à évaluer, mais ce n'est pas le but de l'éxercice.


Ici, on se contente seulement de se faire une idée en comparaison avec d'autres avions (pour lesquels, parfois, des chiffres peuvent exister, sauf qu'il sont parfois faux voir illogiques........).


Ça permet à tout le moins de juger de la validité (et/ou de la bonne foi) d'une critique


Un troisième, encore un cran au dessus: Le F16.

Constat:

-----Une surface alaire de 28 m², et donc un peu plus de 400 kg/m² de charge alaire, un fuselage PRESQUE classique, donc assez étroit, certes, mais avec une petite différence..... qui compte.

Cette différence, c'est la zone peinte en rouge (d'un seul côté sur l'image ci desus, mais elle existe bien évidemment des deux côtés).

Cela représente un petit supplément de surface portante...... plate, et, même si ce n'est pas révolutionnaire, ça compte tout de même.


-----Au niveau moteur, on est dans un rapport poussée poids de l'ordre de 1, ce qui est beaucoup mieux que les deux précédents exemples.


Le F16 possède de puissants inducteurs de vortex sous forme d'apex de dimensions respectables et des dispositifs de bord d'attaque utilisables en combat (automatiquement d'ailleurs).

Sa manœuvrabilité, son agilité même, est  très importante, très supérieure à tout ce qui a été fait avant.


   -----Le F16 est intrinsèquement instable, c'est même le pionnier en la matière, et a donc bien sûr des commandes de vol électriques gérées par ordinateur (pour compenser l'instabilité).


Peut-être serait-il utile de lire ou relire ce lien:

Les avantages du couple cabreur et les deltas.

Voir même, éventuellement, commencer par ceux ci:

Le contrôle en Tangage, le contrôle en tangage suite, et le contrôle en tangage encore, avant celui que j'ai donné juste avant.

Si ce n'est déjà fait bien sûr.


Cette instabilité intrinsèque, ce "couple cabreur", ce n'est pas un simple "plus", c'est presque un autre monde.

Faisons une comparaison Mig 29.

C'est intéressant parce que les deux avions sont assez porches sur plusieurs points essentiels pour le sujet que l'on traite ici.


Ils ont une charge alaire très proche, avec même un léger avantage pour le Mig 29, voir un avantage un peu plus que seulement "léger" si l'on tient compte de son "fuselage élargi" qui augmente d'avantage la portance que les simples "zone colorées en rouge" sur l'image de F16 que l'on peut voir un peu plus haut.


Ils ont un rapport poussée/poids très proche aussi, mais là encore avec un petit avantage pour le Mig 29.


Ils sont capables de virer sous un facteur de charge de 9 g tous les deux.


Mais..


Mais seul le F16 est intrisèquement instable, or cette instabilité, ce "couple cabreur" entraîne clairement moins de traînée, même en charge (virage).


Le résultat est, pour le F16; un meilleur taux de virage soutenu (par opposition au taux de virage dit "instantané" qui, lui, reste à l'avantage du Mig29) au moins jusqu' mach 0,9.


Pourtant la formule aérodynamique du Mig29 est très très bonne.


Sa portance, comme je l'ai dit, est un peu meilleure; l'efficacité portance/traînée des ailes (ce que l'on nomme "coefficient d'Oswald") est un petit peu meilleure aussi.

Ce dont je parle là concerne la traînée induite. Elle est liée aux tourbillons qui se forment à l'extrémité des ailes, et elle un peu plus forte pour des ailes qui se terminent par une arrête "droite"( comme le F16, mais aussi le F18, le F22, le F35 ou Les Su 27, 30, 33, 34 et 35, bref pleins de cas) que de manière plus "arrondie" comme sur le Mig 29 justement, mais aussi le F15, par exemple et entre autres. C'est une question de respect un petit peu "meilleur" des contraintes de la répartition elliptique de la portance découlant de la théorie de la ligne portante de Prandtl.


Bon , tous ça, c'est très bien, mais alors qu'est-ce qui (quel mécanisme) fait que le F16 a un meilleur taux de virage soutenu?


Sur un avion construit avec un équilibre "classique" (donc couple piqueur), la gouverne de profondeur est déjà braquée vers le bas pendant le vol strictement horizontal (ici et les pages suivantes).


En cas de manœuvre forte, lorsque le pilote tire sur le manche, le braquage augmente très fort et la traînée devient beaucoup plus importante, entraînant une perte de vitesse


Sur un avion à couple cabreur (volontairement instable), la gouverne de profondeur est, pendant le vol horizontal, légèrement braquée vers le haut, et la moindre sollicitation sur le manche (dans le sens "tirer") entraîne une vive réaction de l'avion qui a déjà "envie" de se cabrer naturellement (d'où la nécessité d'un contrôle par ordinateur pour éviter de dépasser très vite les limites).


En cas de manœuvre forte, lorsque le pilote tire sur le manche, même un braquage assez léger de la gouverne suffit à faire fortement réagir l'avion.

Résultat; puisque le braquage est, la plupart du temps, moins important que sur un avion classique,  la traînée produite est beaucoup moins importante, et la perte de vitesse aussi (elle peut même être nulle dans certains cas).


C'est pour cela que, bien que le Mig 29 soit tout aussi capable de vier à 9g que le F16, il n'est pas toujours considéré comme dans la même catégorie parce qu'un virage à 9g avec un Mig29 ne peut pas durer longtemps à cause de la perte de vitesse, alors que, pour le F16, il peut même, dans certaines conditions de vitesse et d'altitude, dure, durer, durer....


C'est là que l'on comprend que juger d'un avion est un peu plus compliqué que de suivre quelques affirmations inspirées de la propagande, compréhensible, parfois, trompeuse, toujours.


Un quatrième, pour le plaisir, et le rôle de la grande surface et du "fuselage porteur":

Le F 15:

Rapidement, juste pour parler de certains points particuliers,

----Une surface alaire de 56 m² qui lui donne une charge alaire d'un peu plus de 350 kg/m², ce qui est faible et ça c'est tout bon pour la manœvrabilité.

----Un rapport poussée/poids de l'ordre de 1.

----Des apex, mais plutôt pertits, comme sur l'image ci dessous (indiqués par des flèches rouges)

Certaines versions récentes sont équipés de réservoirs dits "conformes" (ça veut dire "intégrés"), qui permettent un emport plus important de carburant sans trop augmenter, ni la traînée, ni la surface équivalente radar, ou signature radar.


Placés de part et d'autres des fuseaux moteurs à l'emplanture des ailes, ils suppriment de fait les apex (ils sont placés juste en dessous et donc plus rien ne dépasse), mais du même coup, ils montrent que lorsque l'on a une grande surface portante (aile + fuselage large et plat), c'est déjà suffisant pour une bonne manœuvrabilité.


Pas dispositifs de bord d'attaque, quoique.... peut-être ...à moins que...

En fait, il n'y a pas de dispositif de bord d'attaque qui corresponde à la définition stricte, mais le bord d'attaque est, dès l'origine, construit avec une légère inclinaison vers le bas.. et donc c'est un peu, un petit peu, un tout petit peu, comme si...


Il est concu à l'origine sans instabilité ni commande de vol électriques, et donc il ne doit sa manœuvrabilité que à son aérodynamisme (comme les Mig 29 et Su 27).

Il est aussi conçu pour voler sous grands angles d'attaque (aidé en cela à l'origine par les apex), et, dans cet objectif, il a été équipé de prise d'air à la géométrie étidiée dans ce but, et en plus, pivotante.

 

Les flèches rouges montrent le bord supérieur de l'entrée d'air qui pivote vers le bas (entre 1 et 2) pour améliorer l'écoulement aux grands angles d'attaque.

Les flèches bleues montrent un réservoir conforme (intégré), comme mentionné plus haut. Ça permet de voir comment ça fait disparaître l'apex.

Ci dessus, petit dessin explicatif sur la fonction du pivotement du bord supérieur de la prise d'air.



Un cinquième pour ne pas passer à côté de la formule delta:

Le Mirage 2000:

----41 m² de surface alaire, 337 kg/m² de charge alaire, un rapport poussée/poids un peu au dessus de 0,8 (0,7 bien chargé, et un peu plus de 1 à vide, mais à vide, ça ne veut rien dire), il a donc tout (ou presque) pour réussir.


----Toute la portance lui vient de ses ailes, la contribution du fuselage étant totalement négligeable.


----Il n'a pas d'apex ni de VRAIS canards, mais de toutes petites surfaces planes de part et d'autre de la prise d'air qui sont de fait de petits inducteurs vortex, actifs aux grands angles d'attaque.


-----Ses ailes ont aussi des dispositifs hypersustentateurs de bord d'attaque, utilisables en combat.


-----Il est conçu avec une instabilité volontaire corrigée par ordinateur et commandes de vol électriques.


Côté négatif:

----Un tout petit peu trop peu de poussée (atteindre un rapport poussée/poids aurait fait beaucoup de bien).


----Un bras de levier entre la gouverne de profondeur (élevons) et le centre de poussée tout de même un peu trop court, même si l'instabilité intrinsèque et les commandes de vol électriques compensent, elles ne compensent jamais totalement (d'autant que la concurrence a aussi cette instabilité, mais avec un bras de levier plus long...).

L'instabilité en tangage, est, je l'ai dit ailleurs, particulièrement avantageuse pour les avions deltas "sans queue", mais justement parce qu'ils ont tous ce problème de bras de levier court, et qu'être construit avec un "couple cabreur" compense ce problème, mais cette compensation n'est vraiment très nette que par rapport aux autres avions concus selon la même formule aérodynamique (Delta sans queue, comme les Mirage 3 et 5, par exemple).


Le résultat de tout cela devrait logiquement être un avion capable de manœuvres très serrés (à cause de la faible charge alaire / de la portance élevée), mais qui produit tout de même plus de traînée que les avions comme le F16, entraînant obligatoirement de moins bonnes performances en cadence angulaire soutenue (donc sans perte de vitesse) que le F 16. Il peut même être un peu meilleur que le F16 en taux de virage instantané mais forcément moins bon en taux de virage soutenu.


Voilà le genre de chose que l'on peut déduire sur base des explications "physiques" données sur ce site, sans même avoir les chiffres officiels.

Ça marche à tous les coup?

Non, ce serait trop simple, on verra ça plus tard

Pour être complet et ne pas trop se disperser, je vais logiquement parler maintenant du Rafale. J'ai dit "logiquement" parce que, après avoir parlé du delta (grâce au Mirage 2000), il est logique de parler du "delta-canard", donc, par exemple, le Rafale.


C'est à la page suivante.